
Lièvre et tortue, fourmi et cigale, agneau et lion, grenouille et bœuf : combien de fraîcheur et d’intelligence trouve-t-on dans les fables de Monsieur de La Fontaine !
Au bon vieux temps des récitations et de l’« appris par cœur », La Fontaine mettait dans nos bouches d’enfants une morale simple et vraie, et une analyse ô combien pertinente de la difficile nature humaine.
De sa plume aiguisée, il dénoncera avec humour et sarcasme les travers de ses semblables, qu’il prendra soin de déguiser malicieusement en animaux, facilitant ainsi l’accueil de son acerbe critique.
Mais, dans son propre vécu, l’homme sera habité d’une multitude de facettes contradictoires.
Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais…Mauvais mari et mauvais père, il délaisse sans scrupule femme et enfant, perché sur l’arbre de la littérature et de l’inspiration. Sa jeune épouse le déplore, mais lui s’en moque.
Aucune fibre paternelle ni maritale ne semble vibrer en lui, et seule la vie des salons, où il rencontre des mécènes qui l’aideront à vivre de sa plume, l’intéresse vraiment.
D’un autre côté, courageux et fidèle en amitié, il ose risquer de se mettre en mal avec le roi de France, Louis XIV, en continuant à fréquenter Nicolas Fouquet, le surintendant des finances du royaume, tombé en disgrâce aux yeux du souverain, devenu jaloux de son trop-plein d’opulence et de réussite matérielle.
Tout cela, c’est aussi Jean de La Fontaine.
Où donc l’écrivain, devenu célèbre à la cinquantaine, après la parution des premiers recueils de ses fables, a-t-il puisé l’inspiration ?
Car il faut le dire : ses récits font écho de façon frappante à nos sources juives traditionnelles — que ce soit le Talmud, les Midrachim ou la littérature de Moussar.
La flatterie, l’orgueil, la paresse, la confusion des valeurs, la méchanceté qui se cherche des excuses : nos Sages, il y a deux mille ans, avaient déjà disséqué la nature humaine sous toutes ses coutures.
La Fontaine, lui, n’aura plus qu’à habiller ces travers par de judicieux anthropomorphismes et les mettre en scène dans une langue riche et imagée.
Des exemples de ces surprenantes analogies ?
Elles sont légion.
Tout d’abord, la flatterie, si bien dénoncée dans Le Corbeau et le Renard, se retrouve partout en amont dans nos Textes :
"Depuis que la flatterie est entrée dans le monde, le jugement a été corrompu, et les actions se sont perverties." (Talmud Bavli, Sota 41b)
"Quiconque flatte son prochain finit par tomber entre ses mains." (Talmud Bavli, ‘Avoda Zara 19a)
"Les flatteurs sont ceux qui parlent une chose et en pensent une autre." (Midrach Téhilim sur le Psaume 12)
La persévérance plus forte que la précipitation, thème de La Tortue et le Lièvre, se résume chez nous à :
« Mieux vaut celui qui étudie peu à peu et retient, que celui qui étudie beaucoup d’un coup et oublie. » (Talmud Erouvin 54a)
L’injustice rationalisée, le meurtre établi comme norme, dans Le Loup et l’Agneau, est l’exacte traduction de :
« Le méchant accuse les justes pour masquer ses fautes. » (Midrach Téhilim 10)
« Il y a ceux qui appellent le mal, bien, et le bien, mal. » (Pessa’him 113b)
La prévoyance, qui est au cœur de La Cigale et la Fourmi :
« Va vers la fourmi, paresseux ; considère ses voies et deviens sage. » (Proverbes 6, 6-8)
« Prépare-toi dans le couloir afin d’entrer dans le palais. » (Avot 2,15)
Et Kohélet Rabba commente comment la fourmi qui amasse en été pour l’hiver, est à l’image de celui qui se prépare à l’au-delà.
Mais le copié-collé le plus flagrant est peut-être celui du récit de la Fontaine intitulé Le Meunier, son Fils et l’Âne.
Rabbi Yéhouda Hanassi (Rabbénou Hakadoch) enseignait déjà dans le Talmud 1500 ans auparavant :
« Celui qui essaie de satisfaire tout le monde finit par ne satisfaire personne. » (Bavli, Baba Kama 92b)
Et l’on trouve dans des Midrachim populaires, souvent attribués au Pirké de Rabbi Eliézer, la même histoire, mot pour mot, ou un homme, son fils et leur âne sont en voyage, et selon les remarques des passants, ils échangent plusieurs fois leurs positions respectives, jusqu’à finir ridiculisés.
Flagrant plagiat de La Fontaine ? Influence sur lui de conteurs de l’antiquité et du Moyen-Âge qui, eux-mêmes, avaient puisé dans nos coffres forts de Sagesse ?
Quoi qu’il en soit, il est difficile de ne pas voir combien le fabuliste s’est abreuvé aux sources juives dans l’écriture de ses vers.
Alors, Jean, de grâce, ne dites jamais : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau… ! »
Car, de près ou de loin, c’est bien aux cascades fraîches du judaïsme, que vous vous êtes abreuvé.