
La Paracha A'haré Mot nous offre une vision grandiose du service de Yom Kippour dans le Temple. Le plus saint des hommes, le Grand Prêtre, le Cohen Gadol, pénètre le plus saint des lieux, le Saint des Saints, au jour le plus saint de l’année. Il y accomplit un rituel d’expiation pour tout le peuple. À travers ce rituel, c’est le lien entre Dieu et Israël qui est réaffirmé, malgré les fautes, malgré les failles.
La solennité de cette cérémonie était toute particulière, elle concentrait une intensité émotionnelle unique, elle rendait presque palpable la Présence divine, et la joie qui suivait l’expiation des fautes était elle aussi indescriptible.
Et pourtant, à cause de nos fautes, nous n’avons plus la chance de connaître ce rituel dans sa forme originelle depuis des millénaires. Il faut mesurer ce que la destruction du Temple a provoqué comme traumatisme pour les premières générations : sa perte semblait impossible à surmonter, la disparition des rites qui rythmaient la vie spirituelle était insupportable. Et pourtant, malgré la destruction, malgré l’exil, malgré les oppressions, le judaïsme a survécu à la perte du Temple et à tous ces traumatismes. Comment ? Par un acte de foi et d’espoir radical : croire que même en l’absence de tout, il reste l’essentiel — le lien avec le Maître du monde.
A'haré Mot décrit un rituel réglé au millimètre. L’encens, le sang, les vêtements du Grand Prêtre, le bouc pour D.ieu et le bouc pour Azazel — tout est codifié. Mais derrière cette précision, derrière ces procédures, il y a un message : même au cœur de la faute, une voie de retour existe. Même les pêcheurs peuvent expier leurs fautes et revenir près d’Hachem, rien n’est jamais perdu. On peut recommencer. Même lorsque le peuple chute, D.ieu attend son retour. C’est précisément cette idée révolutionnaire et profondément humaniste qui a survécu à la destruction du Temple.
Face à la disparition des sacrifices, une autre porte s’ouvre. Ce n’est plus la porte du Temple, c’est la porte du cœur.
Comme le rappelle Rav J. Sacks, le Talmud enseigne que Rabbi 'Akiva, témoin de ces bouleversements, s’exclama un jour : « Heureux êtes-vous, Israël ! Devant qui êtes-vous purifiés ? Devant votre Père céleste. » Il ajoutait : « Tout comme une source purifie les impurs, ainsi le Saint béni soit-Il purifie Israël. » En l’absence de Temple, d’encens, de bouc émissaire : il suffit d’un retour sincère, d’une parole vraie, d’un cœur ouvert.
Ce bouleversement ne signifie pas que l’on abandonne le passé. Au contraire, c’est parce que la grandeur du service de Yom Kippour était immense que sa disparition exigeait une réponse à sa mesure. Ce que le Temple incarnait — le pardon, la proximité divine, la capacité de recommencer — ne disparaît pas. Il se déplace. Il s’intériorise. Il devient l’affaire de chacun.
L’espérance juive n’est pas une illusion douce. C’est une conviction tenace : rien n’est jamais définitivement brisé si l’homme choisit de revenir. Le cœur, disait le roi David, est le vrai sanctuaire : « Les sacrifices de Dieu, ce sont un esprit brisé, un cœur brisé et contrit, ô Dieu, Tu ne le dédaignes pas. » (Psaume 51)
Le judaïsme a su transformer une catastrophe en nouveau départ. L’absence du Temple a nourri non seulement le désir absolu de sa reconstruction la plus rapide possible avec l’aide d’Hachem, mais elle s’est également transformée en un appel. Un appel à bâtir une foi qui puisse surmonter l’absence d’unité territoriale, à construire un sanctuaire avec sa parole (la prière), et avec son cœur et son âme (la Téchouva).
Ce mouvement, né après la destruction, irrigue toute la pensée juive jusqu’à nos jours. Là où d’autres auraient abandonné, Israël a espéré. Là où le silence aurait pu régner, la prière s’est élevée. Là où le désespoir aurait pu triompher, l’espérance s’est imposée.
Et aujourd’hui encore, quand nos certitudes s’effondrent, quand nos repères se brouillent, le message demeure : le Saint des Saints n’est pas perdu, il continue de nous obliger, et de nous appeler à développer un cœur sincère, à faire naître un élan intérieur, et à formuler des prières sincères.
Chaque homme, chaque femme peut ainsi, avec l’aide d’Hachem, bâtir un sanctuaire intérieur, en affirmant que la Présence divine ne nous quitte jamais, pourvu que nous Lui fassions une place.